Rapport de synthèse du Giec : ce que l’on sait déjà

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Source : www.liberation.fr, le 18/03/20223

Lundi, la publication d’une synthèse sur le changement climatique conclura le sixième cycle de travail des experts du Giec. Voici ce qu’il faut retenir des six rapports déjà publics qui alimentent ce document.

Signs of climate change can be seen as dried cracked mud stands in a low water level area at Merritt Island National Wildlife Refuge in Titusville, Florida, on February 24, 2023. (Photo by Jim WATSON / AFP)

C’est la fin d’un cycle lancé en 2015. Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies) dévoilera lundi la synthèse d’une série de rapports (déjà publics) sur le changement climatique. Depuis 1990, c’est la sixième fois qu’est réalisé cet exercice de compilation et de mise en perspective des connaissances.

Au cours des huit dernières années, ces experts ont épluché des dizaines de milliers de publications scientifiques, y compris les plus récentes, pour les expertiser, les résumer et les mettre à disposition du grand public et des décideurs politiques. Ils ont planché sur trois «rapports spéciaux», consacrés à des thématiques précises (sur l’impact d’un réchauffement mondial de 1,5 °C, sur les océans et le monde des glaces ainsi que sur les sols de la planète) ainsi que sur un «rapport d’évaluation» en trois volets (sur l’évolution du changement climatique par le groupe 1, sur ses conséquences par le groupe 2 et sur les solutions par le groupe 3).

Avant de dévoiler leur synthèse, les scientifiques du Giec ont dû se prêter à un exercice éprouvant cette semaine à Interlaken, en Suisse. Après l’élaboration de chaque rapport, ils écrivent en supplément un «résumé à l’attention des décideurs» qui doit être examiné ligne par ligne, voire mot par mot, avec les représentants de 195 Etats lors d’une session d’approbation. Des centaines de personnes se réunissent ainsi pendant une sorte de conclave qui dure plusieurs jours. Les délégués des Etats font des milliers de commentaires, pour améliorer ou préciser certains points, voire pour faire valoir leurs intérêts. Les négociations sont de plus en plus longues et houleuses : les tensions montent entre pays du Nord et pays du Sud, surtout sur les passages concernant les financements, tandis que l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe tentent inlassablement d’affaiblir la question de la sortie des énergies fossiles. Au final, la décision de modifier, ou non, des parties du résumé revient aux experts. L’objectif est d’adopter ce texte à l’unanimité en signe de consensus international sur l’état de la science. Afin que les Etats ne puissent prétendre un jour qu’ils ne connaissaient pas la gravité de l’urgence climatique.

«Il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et la Terre»

Mais que nous ont appris les documents déjà publics ? D’abord que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter et à atteindre des niveaux records. En conséquence, la Terre n’a jamais été aussi chaude depuis 125 000 ans. Le réchauffement climatique est aujourd’hui de +1,1 °C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900), précise le premier volet du rapport. Les scientifiques affirment qu’il «est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et la Terre», avec une responsabilité historique des pays développés et une part croissante des pays asiatiques et du PacifiqueLes émissions diffèrent fortement selon les revenus : 10 % des ménages les plus riches sont responsables de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais «toutes les régions du monde» sont déjà affectées par des dérèglements rapides, «sans précédent» et grandissants. Les événements extrêmes (canicules, sécheresses, pluies torrentielles…) gagnent en fréquence et en intensité, et cela va se poursuivre. Car le thermomètre «continuera d’augmenter jusqu’au milieu du siècle dans tous les scénarios d’émissions envisagés».

Le seuil de +1,5 °C va être atteint avant 2040. L’accord de Paris vise à contenir le changement climatique le plus proche possible de ce palier, car au-delà, le monde va devenir de moins en moins vivable, avec des effets en cascade incontrôlables. Chaque dixième de degré compte et «sans baisse immédiate et massive des émissions de gaz à effet de serre, limiter le réchauffement largement sous 2 °C et proche de 1,5 °C sera rapidement hors de portée», appuie dans ses interventions la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, qui a copiloté le premier volet. Plus le réchauffement augmente, plus les conséquences se multiplient, plus il devient compliqué de s’adapter. Ce qui met durablement en danger le bien-être et la vie d’une part croissante de l’humanité.

D’ici à 2100, 75 % de la population mondiale pourrait être exposée à des vagues de chaleur mortelles

Le deuxième volet pointe notamment qu’«entre 3,3 et 3,6 milliards d’humains vivent dans un environnement très vulnérable». D’ici à 2050, de nombreuses mégapoles côtières et des petits Etats insulaires, exposés aux submersions, pourront connaître chaque année des catastrophes qui ne survenaient autrefois que tous les cent ans. Et d’ici à la fin du siècle, 75 % de la population mondiale pourrait être exposée à des vagues de chaleur mortelles, notamment dans les villes, contre 30 % aujourd’hui.

Les écosystèmes sont aussi en danger. A +1,5 °C, 14 % des espèces terrestres seront menacées d’extinction, et, avec un doublement du réchauffement, ce risque sera multiplié par dix dans certaines zones. A +2 °C, 99 % des récifs coralliens des eaux chaudes – qui abritent un quart de la vie marine – périront, et les récoltes des cultures vivrières déclineront. De quoi menacer la sécurité alimentaire. D’autre part, les puits naturels de carbone que sont les forêts vont progressivement perdre en efficacité.

L’ampleur des dégâts peut encore être limitée

Les effets sur le monde des glaces et les océans (hausse du niveau des mers, réchauffement et acidification des océans, dégel du permafrost, fonte des glaciers, des calottes et de la banquise) sont, eux, irréversibles. Cela va encore accentuer la chute de la biodiversité, les pénuries d’eau dans certains pays et amoindrir les ressources pour la pêche. Mais nous pouvons encore limiter l’ampleur des dégâts. Et éviter des événements peu probables mais dévastateurs, tels qu’une hausse du niveau des océans de plusieurs mètres en cas d’effondrement des calottes glaciaires. Ce risque augmentera avec la hausse des températures.

En l’état des engagements climatiques pris par les Etats, nous nous dirigeons actuellement plutôt vers un monde à +3 degrés d’ici à la fin du siècle. Si les émissions continuent à un rythme soutenu, il sera plutôt proche de +5 degrés. Dans le meilleur des scénarios, grâce à une réduction massive des gaz à effet de serre, l’humanité dépasserait temporairement les +1,5 °C vers 2030 puis la température retomberait légèrement sous ce seuil pour se stabiliser à 1,4 °C. Pour ce faire, la neutralité carbone doit être atteinte d’ici à 2050. Avec la trajectoire suivante : d’ici à 2030, une diminution des gaz à effet de serre de 43 % par rapport aux niveaux de 2019, et de 84 % d’ici à 2050. S’attaquer au méthane peut avoir un effet rapide. Ce gaz au pouvoir réchauffant trente fois supérieur à celui du CO2 est en bonne partie émis par la production d’énergies fossiles et par l’élevage de ruminants.

En bout de course, les émissions résiduelles de CO2 «difficiles à éliminer» pourraient être absorbées par des méthodes technologiques de captation du dioxyde de carbone. La gestion des terres et des sols, déjà très dégradés, est aussi un moyen de retirer naturellement du carbone de l’atmosphère et de le stocker, par exemple en préservant les forêts, en restaurant les tourbières et autres zones humides. Renforcer la protection de 30 à 50 % des écosystèmes permettrait d’être plus résilients, affirme le Giec.

(Alice Clair)

Si l’humanité veut éviter le chaos climatique, il lui faut dès maintenant transformer en profondeur les modes de production et de consommation, dans tous les secteurs, des transports à l’agriculture en passant par les bâtiments, rappelle le troisième volet. Une plus grande sobriété passerait par un régime alimentaire moins carné, une meilleure isolation des bâtiments, des mobilités douces…

Adaptation : des progrès insuffisants pour se préparer aux impacts du climat futur

Mais à ce jour, malgré l’urgence à agir, «les flux financiers sont trois à six fois inférieurs aux niveaux nécessaires d’ici à 2030 pour limiter le réchauffement en dessous de 2 °C», précise le Giec. Outre l’atténuation du changement climatique, le Giec s’intéresse aussi à l’adaptation, c’est-à-dire à notre réaction face à cette nouvelle donne climatique, qui doit aller de pair avec l’atténuation du réchauffement. Dans ce domaine, il relève des progrès, qui restent insuffisants pour se préparer aux impacts du climat futur. «En investissant dans l’adaptation maintenant, le monde évitera des investissements plus importants dans le futur», appuie le Giec. L’anticipation est encore inégale et peut mener à des maladaptations qui aggravent le problème à long terme. Le Giec insiste aussi sur l’importance d’une transition juste de nos sociétés, pour ne pas accroître les inégalités.

Côté production d’énergie, les chercheurs ont examiné les avantages et inconvénients des divers mix possibles. Ils soulignent la nécessité de «transitions majeures» qui impliquent de réduire «substantiellement» la consommation des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), de généraliser l’électrification, d’améliorer l’efficacité énergétique, et d’utiliser des combustibles alternatifs comme l’hydrogène ou les agrocarburants durables. Bonne nouvelle : entre 2010 et 2019, les coûts unitaires de l’énergie solaire ont chuté de 85 % et ceux de l’énergie éolienne de 55 %. Avec, en prime, de multiples avantages, notamment en termes de qualité de l’air.

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